Cela devenait décidément une habitude de venir roder dans les terres abandonnées. Non pas que Triel devienne un acariâtre solitaire, mais disons qu'il appréciait cette ambiance sereine qui planait en ces lieux. En plus d'être un lieu de rencontres, certes pas toujours agréables, ce territoire regorgeait de mystères que le mâle trépignait de découvrir. C'était donc avec un enthousiasme certain qu'il avait faussé compagnie à ses compagnons pour partir se dégourdir les pattes ailleurs. La queue haute, illuminant avec douceur les troncs des arbres entre lesquels il se faufilait, le loup noir trottinant à vive allure. Il ne savait bien évidement pas où il allait, mais s'enfonçait dans les broussailles et bondissait au dessus des buissons sans jamais hésiter. Partout autour de lui, les frémissements rythmés des feuilles, les chants discrets de certains oiseaux téméraires. La mousse rendait ses pas moelleux et il avait l'impression de marcher sur un matelas confortable. Un bref instant, il se dit que les plus vieux loups apprécieraient sans doute de dormir lové contre cette merveille couchette. Son regard démuni de pupilles balaya les environs tandis qu'il progressait sans cesse en avant. Des troncs, noueux et épais, qui fendaient la terre pour lever leurs puissants bras au ciel, troncs qui semblaient étrangement similaires, des feuilles à perte de vue, une lumière diffuse qui teintait les bois d'une lueur verte lorsqu'elle traversait ces feuillages denses. Sa truffe remua en captant le fumet d'une souris, petite créature qui filait entre les herbes pour se réfugier rapidement. Un sourire fin orna les lèvres du loup. Il aimait décidément plutôt bien cet endroit.
Ses pattes l'avaient mené, après de longues minutes passées à caracoler gaiement autour des branchages, non loin d'un fin ruisseau qui coulait entre deux pierres pour se perdre ensuite dans une pente que formait le sol. Triel s'arrêta momentanément, hors d'haleine mais guilleret, pour inspirer à pleins poumons cette senteur caractéristique de mousse et de terre humide. Ses oreilles frémirent et il courba l'échine pour laper délicatement l'eau, les yeux mi-clos. Il n'avait pas réellement soif, mais apprécia la froideur du liquide qui coulait dans sa gueule et jusque dans sa gorge. Le noiraud se figea cependant, relevant vivement la tête, en alerte. Sans bouger une seule patte, il scruta les alentours. Auprès de l'eau, cependant, les herbes poussaient trop drues pour qu'il puisse y voir quelque chose. Il était pourtant certain que quelque chose avait bougé près de lui. Il l'avait sentit. Un oiseau avait décollé, comme avertit d'un danger, et le mâle se fiait souvent à leurs réactions primitives. Il retroussa les babines, les poils de sa nuque se hérissant peu à peu. Là, plus loin, de l'autre côté du fin filet d'eau qui courrait sans se lasser entre les pieds des fleurs sauvages et des plaques d'herbe. Une tache sombre. Une louve. N'était pas assez près, il ne la reconnu pas, et le parfum entêtant des jacinthes qui poussaient à ses pattes l'empêchait de l'identifier. Sa voix résonna sans même qu'il n'y prenne gare, brisant le calme installé depuis son arrivée dans ces bois:
-Bonjour.
La tête haute, le menton relève et la queue droite derrière lui, il contemplait l'inconnu avec l'air de se demander si il devait l'agresser, l'ignorer où bien la respecter. C'était encore une question à résoudre.